« Si vous imaginez être heureux un jour, pourquoi ne pas choisir aujourd’hui ? »

Publié par Ange Baldomero

J’ai vu très jeune « Nuit et brouillard » et de nombreuses images des camps, les charniers, les corps allongés, les yeux démesurés sur des visages creusés, les peaux transparentes sur des os meurtris, les hommes, les femmes et les enfants alignés, immobiles, posant pour la photo, regard caméra : « Quel Dieu viendra me sauver ? », tous ces regards interrogateurs, ces corps qui n’en sont presque plus, ces empilements d’êtres humains, ces derniers regards avant que l’on ferme les portes des wagons et la fierté dans les yeux des nazis.

J’ai vu les photos des enfants du Biafra et de leurs mères, le ventre et les yeux gonflés et le même regard : « Pourquoi ? Qui a voulu ça ? Que ferez-vous pour moi ? »

J’ai vu les corps calcinés des vietnamiens alignés sur le sol et les mêmes regards caméra d’enfants et les mêmes questions.

J’ai vu Hiroshima, j’ai vu Nagasaki. J’ai vu les images du Bangladesh, d’Afrique, de Bogota et toujours les mêmes regards d’enfants : « Est-ce Dieu ou bien les hommes qui ont voulu ça ? Qui peut m’aider, Dieu ou les hommes ? »

J’ai vu la résignation et l’espoir d’en finir, la mort sur leurs épaules.

J’ai vu des hommes marcher, mains sur la tête, des hommes tomber, des hommes mourir, et des femmes et des enfants et toujours les mêmes regards et toujours les mêmes questions.

Je n’ai pas vu les images des rues de Paris, à quoi bon, ce sont toujours les mêmes images depuis que l’homme existe et la peur qui l’accompagne.

Et même si c’est Dieu qui a voulu ça, master chef, ce sont les hommes qui ont fait ça, des hommes le plus souvent croyants, parfois chrétiens, parfois soumis à Allah ou à Shiva, à Baal ou à Sheitan, exterminateurs nazis, révolutionnaires, militaires américains, capitalistes occidentaux, extrémistes de gauche ou de droite, donneurs de leçons en tout genre au service de leur Dieu ou de la bonne idée qu’ils ont eu, de la bonne cause, leur vérité.

Tous ces enfants au regard apeuré souffraient d’une seule chose, Dieu ne leur avait pas envoyé de tsunamis ou d’avalanches, de tremblements de Terre ou d’éruptions volcaniques, il leur avait envoyé la pire des malédictions : L’obéissance à l’autorité, le respect de la hiérarchie, la discipline, la soumission à un homme ou à une église et la déresponsabilisation des hommes devant les choix de leurs chefs ou de leur Dieu.

J’ai vu un hérisson au fond de mon jardin, dans les hautes herbes. Il était minuscule et semblait apeuré. Nous étions identiques, lui et moi, croyant nous protéger derrière nos défenses ridicules, mais le visage interrogateur : « Comment va le monde ? Puis-je m’y risquer ? »

La réponse est : « Non ! Dehors, il y a des hommes qui vont t’attraper, jouer avec toi et te détruire, te manger ou juste s’amuser à te voir souffrir ou pire, t’écraser avec leurs voitures sans même t’avoir vu »

J’ai vu une tortue traverser le jardin, profiter de la chaleur, dévorer nos salades et puis retourner se coucher dans la Terre : « Je ne veux pas voir ce monde, pas tant qu’il y a les humains ».

J’ai vu la pluie par la fenêtre, ma mère à mes côtés et chacun de nous, un chocolat chaud à la main prenant la décision définitive de rester ici, ensemble et protégés du monde, du napalm, des bombes, et des humains.

J’ai vu le soleil se lever en hiver. La route qui m’amenait à l’école longeait des champs jusqu’à l’infini, jusqu’au ciel jaune et orange à l’horizon, jusqu’à la maison du soleil rouge. Même les lendemains de guerre, même les jours de maladie, il se levait, imperturbable, pour nous offrir sa lumière, effacer les cauchemars, repartir à zéro, pour nous offrir sa chaleur : « Ça va aller, ne pleure plus ! »

J’ai vu sur les branches d’un cerisier des chenilles se hâtant lentement vers leurs destinés, elles ramenaient leurs derrières sous elles comme on regroupe son paquetage avant un long voyage puis se lançaient vers l’avant avec le courage et l’insouciance d’un enfant qui court vers l’océan. Là-haut, vers le ciel, les attendait un monde meilleur.

Les jours suivants étaient les plus beaux jours de ma vie. Je passais mes journées immobile, à courir du regard derrière les papillons, pour, surtout ne pas les attraper, quel horreur, pour remplacer les images d’enfants allongés, tués par des soldats qui obéissent, des gens qui savent ou par des hommes d’affaires, par celles de la légèreté de ces volatiles créatures divines et de leurs prolongements, les plus belles fleurs du jardin.

Je ne veux plus jouer à l’homme qui sait ce qui est bon pour les autres hommes, je ne veux rien d’autre que retourner jouer dans le jardin, à la mort pour de la fausse, à la vie pour de vrai, juste jouer dans le jardin, sans même attendre le jour où je m’envolerais à mon tour

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