Il faut imaginer Sisyphe heureux !
Ce que ne dit pas Albert Camus, c’est que Sisyphe, tous les soirs,
retrouvait femme et enfants, leurs sourires,
leurs paroles, leurs demandes et leurs offres,
l’inquiétude parfois, pour une fièvre ou une question sans réponse,
toute une vie partagée, car une vie qui n’est pas partagée n’a aucun sens.
Ainsi Sisyphe, chaque soir, après avoir rempli sa tâche absurde
retrouvait celle qu’il aimait et avec laquelle il avait perpétué la vie,
mettant au monde ceux qui leur succéderaient afin de porter éternellement le rocher,
et lui et sa femme qui les avait portés dans son ventre,
les aidaient désormais à devenir le meilleur d’eux-mêmes,
et chaque soir ils s’endormaient dans la chaleur de l’autre
et chaque matin, ils se levaient dans la chaleur de l’autre
et il fallait les imaginer heureux.
L’enfer, c’est un monde sans autres.
L’autre, c’est tout simplement
ce qui me permet d’exister en tant que ce que « je suis »,
parfois maître, parfois esclave,
en recherche permanente de ce que « je suis »,
face à l’autre, en miroir ou à mes côtés, qui me redéfinit, qui me comble
ou qui me manque, me complète ou me divise,
entre celui qui dépend et celui qui n’existe que de s’offrir.