Premier regard
« Je me souviens du premier jour où j’ai aimé mon analyste sur le seuil de sa porte d’entrée, comme je me souviens de la première fois où j’ai vu chaque femme que j’ai aimée.
L’analyse avait commencé sur le chemin menant à notre rencontre.
Quand je suis entré en sixième, elle était déjà en cinquième. J’avais une tête de CE2 et elle un corps de troisième. Je pense qu’elle ne m’a jamais vu. Pas plus que le soleil ne connaît la fourmi. Pourtant, malgré le déni, j’ai approfondi la connaissance de mon plaisir, en pensant à elle, le soir dans mon lit ou le dimanche matin, dans mon bain.
Un jour, j’ai remarqué une autre fille. C’est un contre-exemple car je ne l’avais jamais vue avant alors que depuis deux ans, nous étions dans la même classe. Avait-elle changé de coiffure ? Ses seins avaient-ils poussé ? Avait-elle eu ses règles ? Nous aurions pu nous aimer mais c’était le dernier jour d’école.
Dans le garage de l’entreprise familiale, il y avait, pour les ouvriers, un calendrier. Je piquais les clés pour aller regarder les mois passer. On ne voyait pas les poils à l’époque, on ne nous montrait que les seins. Mais ça me faisait suffisamment d’images à enregistrer pour nourrir mes fantasmes du soir et envoyer mes draps à laver.
Il faisait beau. C’était bientôt les vacances. Je me souviens de ses cheveux, de son visage et de son corps qui, à quinze ans était celui d’une femme.
J’avais passé l’été à faire de longues marches, seul. C’était ce qu’on appelle la rentrée. La sortie de soi vers les autres. Ils nous avaient mis dans la même classe, cette fille et moi. J’ai découvert qu’elle avait un petit ami.
Pour certains, le fait qu’une fille ait déjà un petit ami n’est pas un problème mais ça l’était pour moi.
Moi et le fait que je n’étais pas autorisé à lui dire : « Je t’aime ».
Il a ouvert la porte pour m’accueillir, le transfert avait déjà commencé. »